Je n’avais pas d’opinion ni d’attente spécifique sur l’Inde avant d’y partir. Je dois avouer que je n’y avais encore jamais mis les pieds quand j’ai écrit Apocalypse Blues -le personnage de Kiran Venkata est principalement basé sur de la recherche. Mais je connaissais des gens qui y étaient allés, et mon amie Taki avait hébergé des étudiantEs indiens à une époque. Au final, ce n’est vraiment pas suffisant pour se faire une idée de l’Inde. C’est un pays trop grand et trop différent d’une région à l’autre pour se définir uniquement par quelques individus.
C’est aussi un pays trop grand et trop divers pour être introduit par « oh mais c’est dangereux ! », ou encore « tu vas voir, ça va changer ta vie ! », ou même « c’est très dur, comme pays ». De manière générale je trouve toujours curieux de chercher à définir un pays par une impression, souvent personnelle, parfois tirée uniquement de on-dits, d’articles de presse et de documentaires. Quand je suis parti, certainEs de mes proches étaient persuadés que j’allais mourir, me faire violer, me faire braquer, perdre toutes mes affaires, me perdre moi, être arrêté à la douane parce que quelqu’un aurait glissé de la drogue dans mes bagages, ou encore que j’allais avoir un énorme choc des cultures, ou bien que j’allais être absolument ébahi et que j’aurais une révélation spirituelle. Au final, rien de tout ça ne s’est produit. Je m’en doutais un peu, alors je n’ai pas été déçu.
Je suis parti en Inde parce qu’une amie de fac m’avait invité à son mariage. J’ai atterri à Mumbai avec ma meilleure amie deux ou trois jours avant la première cérémonie. Je découvrais du même coup la culture musulmane et la culture indienne, et je remercie de tous mon coeur l’oncle et les cousins du marié qui ont pris la peine de mettre les invitéEs françaisEs de la mariée à l’aise et de nous expliquer tout ce qui se passait. Mention spéciale à la mêlée de rugby pour récupérer une chaussure. #lesvraissavent
Il faisait chaud, la ville était bondée et saturée par la pollution et l’humidité. Les taxis nous arnaquaient systématiquement, ce qui nous semblait de bonne guerre, et on alternait les restaurants locaux avec les restaurants europpéens histoire que je ne passe pas l’intégralité du voyage le ventre vide -figurez vous qu’ils utilisent le piment comme du sel ces braves gens. Vous le saviez ? Moi non.
Mais ça ne ressemblait à rien de ce que le reste du monde m’avait toujours raconté sur l’Inde et ses grandes villes. On n’a pas pris de risques particuliers mais on n’a pas pris de précautions particulières non plus. Je mettais mon passeport, mon téléphone et mon argent dans une poche de pantalon à fermeture éclaire. On se déplaçait à pied et en taxi plutôt qu’en transport en commun. Nous avons décidé, d’un commun accord, de ne pas visiter de bidonville, moins par crainte (il y a des compagnies touristiques sérieuses qui offrent des visites guidées) que par malaise vis à vis de l’idée de visiter comme on visite un zoo, un musée ou un site touristique, le lieu de vie désolé d’une population dans la pauvreté la plus profonde. La foule était dense mais pas suffisamment compacte pour encourager de potentiels pick pockets -et d’ailleurs, pour autant que je sache à quoi ressemble unE pick pocket, il n’y en avait pas. Les seuls enfants que nous avons vu portaient des uniformes scolaires impeccables. Il y avait beaucoup de chiens errants et quelques vaches ruminant entre deux voitures. Très peu de mendiants, en tous cas là où nous sommes allés.
Bref, ça ne me semblait pas plus risqué qu’un weekend à Paris, pas plus déprimant non plus, et même si le mariage de Mariam et Houssen fut très beau, riche en couleurs et en joie familiale volontiers partagée avec les étrangerEs que nous étions, pas d’épiphanie spirituelle non plus. Les trois semaines suivantes n’alternèrent pas cette impression, même lorsque je passais une semaine dans l’ashram d’Amma (la femme qui donne des étreintes miraculeuses).
Au final, je notais ce qui suit :
- je n’aurais pas dû venir avec uniquement des pantalons de trek. Il est recommandé de couvrir ses bras et ses jambes en Inde, pour des raisons de respect et de discrétion. Mais la vérité c’est que si vous êtes blancs, vous ne pouvez pas être discret, même en vous couvrant les jambes, et il me semble que notre présence même, par bien des égards, représente une forme d’irrespect, en tous cas de mon point de vue. Quitte à souffrir de ce malaise, autant souffrir en short et ne pas mourir de chaud dans l’intervalle.
- il est nécessaire et très compliqué de réserver ses billets de train sur internet si vous êtes hors du pays. En revanche il est extrêmement facile de les réserver en gare. Si vous avez au moins une semaine entre votre arrivée en Inde et votre voyage en train, ne cherchez pas plus loin.
- il ne fait pas si chaud que ça en classe sleeper (la moins chère et la plus bondée) et on y dort correctement, même en partageant une couchette étroite avec une femme inconnue et son enfant en bas âge. Si vous ne craignez pas la promiscuité ne vous inquiétez pas trop.
- Il y a du linge de lit, de l’eau, la clim, et on vous vendra de vrais plats aux repas dans les classes plus chères. C’est à vous de voir.
- emportez plus d’eau. Non, plus que ça. Plus. Encore un peu plus. Voilà.
- emportez un chapeau, une casquette, n’importe quoi pour vous couvrir la tête.
- donnez à boire aux chiens mais préparez vous à ce qu’ils vous suivent partout sur la plage en essayant de vous prendre doucement la main avec leurs crocs.
- les gens vont vous servir, sans forcément vous demander, et exiger de l’argent en échange, ce qui est tout à fait normal et juste. Si vous n’en avez pas les moyens, faîtes tout ce que vous pouvez vous même. Si vous en avez les moyens, payez très bien les gens.
- apprenez quelques mots d’hindou avant de partir.
- surtout, surtout, emmenez votre bon sens partout avec vous. C’est pratiquement la seule chose dont vous ayez besoin pour voyager en Inde.
Beaucoup de gens vont en Inde pour être éblouis ou en espérant y vivre leur éveil spirituel. C’est un concept qui me pose problème mais je ne me permettrais pas de juger. Efforcez vous juste, pendant votre voyage, de garder à l’esprit que c’est un vrai pays avec des vrais gens qui y vivent. Vous n’êtes pas dans une annexe de l’Europe pour les fans de yoga, et vous n’êtes pas là pour sauver qui que ce soit -même si c’est votre intention, notez que vous ne sauverez personne. Vous êtes là pour visiter.
Je vais pas vous mentir, moi aussi j’ai débarqué de l’avion avec la démarche du sauveur blanc. J’ai toujours eu beaucoup d’imagination et là c’était pire que tout. Je m’étais dit que j’achèterai un ballon de foot dans un bazar, que je jouerai avec tous les gaminEs que je croiserai, et qu’à la fin de mon séjour je leur laisserai le ballon. C’était un peu con comme idée, et comme je l’ai dit touTEs les gaminEs que j’ai croisé étaient en uniforme scolaire et n’auraient probablement pas voulu jouer à la baballe avec un inconnu -aucun n’enfant ne ferait ça en France alors pourquoi ils le feraient en Inde ? Idée ridicule née de trop de préconçus et d’une idéalisation fantaisiste d’un pays étranger et de la vie de ses habitants.
Oui, les trains sont souvent très en retard et il y a des déchets partout. Non, ce n’est pas parce que les Indiens s’en foutent de la ponctualité et de l’état de la planète (l’immense aéroport de Cochin est intégralement alimenté en électricité par un champ de panneaux solaires qui produit tellement d’énergie qu’une partie de la région en profite aussi, et l’humidité déposée chaque matin sur les panneaux sert à irriguer les exploitations agricoles du coin). C’est juste les infrastructures qui sont un peu à chier, principalement pour des raisons de corruption. (Un peu comme à Marseille et à Montréal.) Un peu de bon sens suffit à rendre leur emploi pas plus compliqué qu’ailleurs.
Non, les gens ne sont pas des trésors de générosité et de positivité. Les gens sont comme tout le monde : y en a qui sont très cools et ouverts, qui traduisent pour toi le prix demandé par le marchand de fruits, ou bien t’indiquent un moyen de gagner du temps en descendant de ton train une gare plus tôt que prévu et vont jusqu’à te mettre dans un taxi. Des secrétaires de banque à l’anglais impeccable qui t’orientent clairement et simplement vers un point de retrait, et un chauffeur de taxi qui comprend rien à ce que tu dis mais qui se débrouille pour te déposer littéralement devant la porte du restaurant que tu cherches.
Y en a aussi qui font semblant de pas comprendre l’anglais parce qu’ils ont la flemme de t’aider ou envie de te tirer un peu plus d’argent. On a les mêmes en France et partout ailleurs. Là encore, faîtes preuve de bon sens, restez souriant et polis et poursuivez. Y a ni miracle ni mort d’homme.
Ça les fait sans doute un peu chier de nous voir rentrer dans leurs temples juste pour jeter un coup d’oeil et faire semblant de prier des dieux en lesquels on ne croit pas, recevoir des bénédictions qui ne veulent rien dire pour nous et mettre nos pieds sales dans l’eau sacrée. Ils ont bien raison d’en profiter pour nous taxer notre argent de poche en échange d’une guirlande de fleurs.
Au final, je ne regrette pas ce voyage parce que c’était intéressant, j’ai vu des beaux paysages, visité des musées très cools et voyagé assis dans l’encadrement de la porte d’un wagon de train ce qui, franchement. Franchement ? Épic.
J’ai pas eu le droit de voyager sur le toit pour des raisons évidentes d’électrocution potentielle (littéralement personne ne fait ça). Je me suis ennuyé comme un rat mort à un cours de yoga, je me suis fait des potes chiens creuseurs de trous et chasseurs de crabes géants. J’ai payé une fortune ridicule des épices de Cochin, ma soeur m’a offert une chemise couverte d’éléphants multicolores, et j’ai rapporté une magnifique tenue de mariage que je ne remettrai jamais. Mais j’ai quand même passé un mois à me balader avec l’équivalent local d’une fortune de seigneur au fond de la poche, moi qui, en France, vit sous le seuil de pauvreté. J’en ai retiré les impressions suivantes, qui valent ce qu’elles valent, tirées directement de mon carnet de voyage :
« En France, je pars du principe que je paye le prix juste et en retour je mérite d’être traité et servi convenablement par les gens que je paye. En Inde, le rapport de force est tout autre. Car comment exiger quoi que ce soit d’un chauffeur de taxi ou d’un restaurateur que je paye une misère ? La roupie a beau valoir bien moins que l’euro, ça ne change rien au dilemme moral que pose chaque transaction financière. (…)
Il est ici de bonne guerre de négocier, de ne pas se laisser faire, de faire baisser les prix. Mon faible budget m’oblige à me plier à la tradition, mais je n’en marche pas moins comme un funambule sur le fil de soie de la culpabilité infligée par mon code moral de Robin des Bois. Ces gens sont pauvres. Étant plus riche qu’eux, n’est-il pas de mon devoir de les payer justement ? Et surtout : comment exiger la moindre qualité de service quand je n’ai pas l’impression de payer le prix juste ? (…) Alors face au taxi qui s’efforce de m’entuber en dépit de mes protestations, plutôt que de me sentir léser, ne devrais-je pas culpabiliser face à la réalité : que celui qui est lésé, dans l’affaire, c’est lui et pas moi ?
(…) Nous existons dans deux mondes différentes, et seul le mien dispose d’une fenêtre pour regarder dans le leur. Un autre privilège que je n’ai pas choisi mais dont je ne cherche pas à me défaire pour autant…
Bernardo le Bolivien m’a dit au mariage de Mariam : « Il n’y a que les gens riches qui veulent aller en Inde. Quand on vient d’un pays pauvre, on veut aller dans les pays riches. »
(…) Robin des Bois, mon cul. »
Au final je ne pense pas que ce soit intrinsèquement une bonne ou une mauvaise chose d’aller en Inde. Comme dans beaucoup de domaines, je pense que, ce qui compte, c’est la démarche. Alors si vous y allez, faîtes le les yeux ouverts, et n’oubliez pas de mettre votre bon sens dans votre valise avant de la refermer.
Super article. Quand je vivais à Paris, j’avais le projet à un moment d’aller en Inde. On m’a souvent dit les mêmes préjugés que tu décris, et même certains sont allés jusqu’à dire « tu vas détester, c’est pas pour toi ». Ce le foutait tellement en rogne, surtout qu’en général je voyage en essayant d’avoir le moins d’attentes et de préjugés possibles, consciemment en tout cas. Au final j’ai pas eu l’occasion, mais ton récit donne envie d’aller explorer un jour !