« Qu’est-ce qui t’en empêche ? »
C’est ce que l’on dit parfois à la salle de bloc lorsque quelqu’un ne parvient pas à sortir un problème non par difficulté technique mais par peur. Et par quelqu’un, je veux dire, moi. Je suis constamment mis en difficulté par ma trouille. Un mouvement hasardeux qui nécessite de perdre l’équilibre le temps de saisir une autre prise. Un jeté un peu haut. Une prise trop ronde, trop glissante. Cette impression que le poids de mon corps ne peut aller nulle part sauf vers le bas.
Dans ces situations j’ai besoin si possible de parler du problème à haute voix. L’autre jour, je teste un problème vert (les problèmes de cette couleur ne sont pas les plus faciles mais demeurent très accessibles, la plupart des débutants en sortent facilement une bonne moitié) en compagnie de Dorian, qui lui grimpe en orange. Mon problème se situe dans l’escalier à l’envers, c’est à dire qu’il faut constamment plier mes bras pour atteindre les prises situées sous la marche suivante. Je me laisse chuter à plusieurs reprises sans oser faire les derniers mouvements. J’en parle à Dorian : il est évident que les prises sont à ma portée mais ma position pour aller les prendre est précaire. Je suis convaincu que je n’aurais aucune difficulté à les saisir, mais au moment de le faire, mon instinct de survie prend les commandes et m’ordonne de sauter plutôt que prendre le risque de chuter. Dorian m’écoute patiemment, puis dévoile un sourire moqueur et me demande bien franchement, si je suis si convaincu de pouvoir atteindre les prises, ce qui m’empêche de sortir le problème.
Cette question n’attend bien entendu aucune réponse, il a bien saisi que ce qui m’en empêche c’est la peur. On me posant cette question il me force à considérer un fait évident : ma peur n’est rien d’autre qu’une émotion qui n’existe qu’à l’intérieur de ma tête. Pas un obstacle concret. En pratique, absolument rien ne m’empêche de décider d’en faire abstraction et de sortir le problème en dépit d’elle.
Fort de cette conviction, je me frotte les mains à la magnaisie liquide et je reprends le problème du début. Arrivé au point où j’hésite, j’entends ma peur, je comprends ses arguments, mais je n’en tiens pas compte et je saisis la prise suivante. Je la saisis aussi facilement que je m’y attendais, sans rencontrer de difficulté pratique.
Forcer ma volonté contre ma peur me plonge dans un état d’esprit propice à l’écriture. La flemme et la procrastination sont mes principaux ennemis dans mon travail. Je ne manque jamais d’imagination ni d’idées, j’ai toujours plein de projets en cours en même temps et je sais désormais d’expérience que je suis capable de les mener à bien. Mais parfois je me retrouve coincé sur youtube et j’ai beau me répéter qu’il faut fermer mon navigateur et basculer sur scrivener, je ne le fais pas.
Alors, qu’est-ce qui m’en empêche ?
Exactement comme à l’escalade, rien de concret. Rien qui n’existe ailleurs que dans ma tête. Je n’ai pas les mains liées, je ne suis sous l’emprise d’aucune substance ni d’aucun hypnotiseur, personne ne braque une arme sur ma tête en m’interdisant de travailler. Je n’ai devant moi qu’un obstacle purement mental, et si ma volonté gagne au bras de fer contre ma peur, de toute évidence, elle devrait exploser ma flemme sans difficulté. Et c’est ce qu’elle fait, parfois. Quand j’arrive à me motiver. Quand je mets un minuteur, souvent, car la pression du temps qui passe est très efficace sur ma propre personne, mais ça c’est purement personnel.
Ne voyez pas dans tout cela une forme de sermon (on a déjà établi que je n’en étais pas friand). Vous avez parfaitement le droit de céder à votre flemme. Il n’y a rien de mal à ça, et je ne m’efforce régulièrement d’affronter la mienne, que dans le cadre de ma démarche vers une carrière d’auteur professionnel. Mais je pense qu’il est important d’avoir conscience qu’on a le choix. Rien ne nous empêche de faire les trucs qu’on ne fait pas. Rien de concret en tous cas. Juste des trucs dans nos têtes, que nous pouvons choisir d’affronter. Ce n’est pas forcément facile, alors c’est à vous de voir si le truc que vous ne faîtes pas vaut la peine de faire un bras de fer pour arriver à vous bouger.
(Note : ces idées ne s’appliquent bien entendue pas à vous si vous manquez de cuillère, car dans ce cas vous n’avez pas un problème de flemme. En revanche, notez que vous avez tout mon soutien.)
Dans le même esprit, je retrouve également des émotions et des fonctionnements mentaux similaires lorsqu’il s’agit de s’appuyer sur des expériences passées pour se convaincre de se lancer dans des projets futurs. Après un one shot, une trilogie et plusieurs nouvelles, il est désormais évident que je suis capable de finir un projet à cout, moyen et long terme. Donc cette question ne se pose jamais. Mon roman en cours est ridiculement long et je râle régulièrement que j’en ai ras le pompon et que ce sera jamais fini, mais c’est juste pour extérioriser mes émotions comme lorsque je crie des jurons à l’escalade. Mais en réalité j’avance avec la conviction profonde que je vais le faire en entier.
J’en suis convaincu parce que je l’ai déjà fait.
À l’escalade, il y a certains mouvements qui me semblent impossibles à réaliser -en tous cas pour moi. J’y passe des semaines, parfois des mois, sans jamais réussir à finir certains problèmes spécifiques. Et puis, un jour, je saisis la prise suivante, je sors le problème. Et alors je n’y retourne jamais, car je suis têtu et si j’échouais une nouvelle fois, je me sentirai obligé d’insister à nouveau jusqu’à ce que j’y arrive encore.
C’est une manière de penser très stupide de ma part car ce n’est jamais arrivé. Une fois que j’ai réussi un mouvement ou sorti un problème, j’y arrive à chaque fois. Pourquoi ? Parce que ce que mon cerveau n’arrivait pas à se figurer de prime abord dispose désormais d’un exemple concret démontrant non seulement que la chose est possible pour moi (puisque je l’ai déjà fait) mais aussi comment faire pour y arriver. Je ne me souviens pas toujours des mouvements que j’ai fait pour sortir un problème, mais mon corps, lui, s’en souvient et les répète presque automatiquement. Je m’en suis rendu compte en m’efforçant de démontrer des problèmes que j’avais déjà sorti à d’autres grimpeureuses qui bloquaient là où je bloquais avant. Je m’avance toujours en déclarant « bon, je n’ai réussi qu’une seule fois, alors ne vous attendez pas à grand chose », et ça passe pour de la fausse modestie puisque je réussis toujours, la deuxième, la troisième, la quatrième et toutes les autres fois.
Avec le temps, j’ai appris à faire confiance à mon corps, mon cerveau, et à leur accorder la patience dont ils ont besoin pour fonctionner au meilleur de leurs capacités. Il suffit de ne pas se décourager, de ne surtout pas laisser tomber. Si je continue, je sais que je finirai par y arriver -pour preuve, je l’ai déjà fait. Si je m’arcboute contre ma flemme ou contre ma peur, je sais qu’au final, c’est ma volonté la plus forte, donc je finirai par y arriver.
Encore une fois ce sont des choses qui ne fonctionnent pas pour tout le monde. Mais pour moi ça marche. Alors si vous bloquez sur quelque chose, envisagez l’escalade de bloc. C’est facile à retenir : c’est dans le nom.
C’est pour les trucs qui bloquent.