On arrive sur Septembre (2023, ajoutai-je intérieurement en évitant de regarder la date de ma dernière publication sur ce site) et ça me démange de conseiller des livres à quelqu’un, du coup en cette veille de rentrée, c’est sur toi, passant.e, que ça tombe. Je vais être gentil et m’en tenir à dix bouquins, sans thématique particulière, sans ordre ni contrainte. C’est juste que j’ai beaucoup tourné dans les classes et les médiathèques dernièrement et qu’on m’a beaucoup posé cette question. (Et aussi j’ai jamais autant aimé les livres. IL Y EN A TROP JE NE PEUX PAS TOUS LES LIRE AU SECOURS !!!)
Bref.
Morwenna, de Jo Walton
C’est le premier qui me vienne à l’esprit parce que j’ai un article dessus dans mes brouillons et je l’ai vu en passant. Du coup vous aurez pas d’article mais voici un paragraphe I guess. Morwenna, du coup, c’est le journal intime d’une jeune fille de 16 ans qui vit au Pays de Galles dans les années 90 (à une ou deux décennies près, je l’ai pas sous le coude pour vérifier, je l’ai prêté à ma nièce, don’t at me). Elle a un peu une vie toute pourrie : sa mère est une sorcière maléfique hyper toxique, et Morwenna a perdu l’usage d’une de ses jambes dans un grave accident qui a coûté la vie à sa sœur jumelle. C’est une ado très solitaire qui fait de la magie tout en s’en méfiant (rapport à sa daronne) et qui adore lire de la SF. Elle se retrouve dans un pensionnat pour jeunes filles où tout le monde est un peu basic, et la majorité des thématiques du récit tournent autour de son isolation, ses difficultés d’adaptation sociale etc. J’aime profondément la littérature de Jo Walton, parce qu’elle parle quasiment toujours de communauté, et plus précisément de communauté du point de vue de gens pour qui c’est pas un truc acquis. Genre à l’âge de Morwenna j’avais aussi vachement de mal à me faire des potes, je me sentais seul et je m’imaginais que je pouvais faire de la magie pour rendre le monde moins chiant. Ce qui est drôle c’est qu’aujourd’hui, à l’âge adulte, je me reconnais aussi dans ce personnage, juste, peut-être plus en profondeur ?
Bref, pour résumer c’est un roman pluvieux (littéralement) plein de livres, de magie et d’inadaptation sociale. Si avec ça je vous l’ai pas vendu, vous êtes probablement ici par accident.
Terra Ignota, d’Ada Palmer
C’est incroyablement facile de passer de Walton à Palmer vu qu’on les trouve souvent ensemble, ces deux-là (moi, flexing que je les ai déjà rencontrées deux fois ? CALOMNIES !) (c’est surtout que j’écoute leur podcast religieusement, ça s’appelle Ex Urbe Ad Astra, et si vous comprenez l’anglais, je ne peux que vous le recommander). En l’occurrence, Terra Ignota c’est mon obsession depuis trois ou quatre ans, le dernier tome (5 en français, 4 en anglais) est sorti l’année dernière, et après l’avoir lu j’ai décidé… de tout relire ! Donc là je suis dans le tome 1 pour la 4e fois (mais je vais très bien ne vous inquiétez pas), et c’est incroyable comme ce livre yields des nouveaux trucs à chaque lecture (et pas uniquement parce que je le comprends un peu mieux à chaque fois). C’est un récit très difficile à résumer, surtout en si peu d’espace, mais pour vous donner une amorce : en 2454, Mycroft Canner, un forçat purgeant une peine de travaux d’intérêt général à vie pour d’horribles crimes, se voit confier la mission de chroniquer des évènements ayant fait basculer le monde dans lequel il vit. Génie des langues, des maths et de la politique, Mycroft passe sa vie dans les bureaux des personnes les plus influentes de la Terre -ce qui ne l’empêche pas de nettoyer les égouts avec ses potes forçats quand les Grands de ce monde n’ont pas l’usage de sa personne. Il fait des tangentes toutes les cinq minutes, soit pour avoir des dialogues socratiques imaginaires avec le lecteur/les grands philosophes des Lumières, soit pour assigner des genres aux personnes qu’il rencontre (et les sexualiser à mort pendant qu’il y est). Ah, et il a trouvé un enfant avec des pouvoirs magiques qu’il planque avec l’aide d’une sorcière.
Je vous l’ai vendu ? Dîtes-moi que je vous l’ai vendu !
Les Dépossédés, d’Ursula LeGuin
On continue avec un nom facile à sortir en SF, mais perso je l’ai découverte sur le tard -je veux dire, je savais qui elle était et j’avais entendu parler de La Main gauche de la nuit, mais je l’avais jamais lue et je ne m’y suis collé qu’à force de voir son nom popper dans la bouche (et les écrits) de Neil Gaiman. Et bah je me suis fait radicaliser en deux-deux. Les Dépossédés, c’est l’histoire d’un très grand physicien qui vit dans une commune anarchiste. Le problème, c’est que quasiment personne, dans la commune, ne s’intéresse à son travail (ni n’a les capacités pour s’y intéresser à la base, c’est vraiment pointu comme truc, Shevek essaie de résoudre une théorie concernant l’écoulement du temps, et j’avoue que les passages où ces théories sont développées nécessitent beaucoup de concentration, pour moi en tous cas). En revanche, sur la planète très capitaliste d’où sont venus ses ancêtres, les travaux de Shevek sont portés aux nus, à tel point qu’il finit par être invité en résidence dans une université de là-bas. Shevek se retrouve donc le tout premier membre de sa commune depuis sa fondation à retourner sur la planète que leur mouvement a choisi de quitter plusieurs décennies plus tôt. C’est bien entendu un énorme choc des cultures, mais aussi un cheminement moral et personnel, des réflexions à te retourner le cerveau sur notre rapport à l’autre, à la loi, au gouvernement, à la liberté, à la notion de propriété, bref.
C’est une dinguerie qu’il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie.
La Maison dans laquelle, de Mariam Petrosyan
Celui-là c’est une lecture récente qu’il va falloir que je relise (j’aurais recommencé direct au début si j’avais pas déjà eu Terra Ignota, l’énième relecture, qui m’attendait de l’autre côté), un gros pavé qui nous vient d’Arménie, en France c’est chez Toussaint Louverture (ça me fume à chaque fois que je vois passer un de leurs bouquins qu’il y ait écrit dessus « une fascinante publication de Monsieur Toussaint Louverture » genre something something les bouquins fascinants n’ont pas besoin de s’annoncer comme tel ?). Non, en vrai ne tenez pas compte de cette parenthèse sarcastique : c’est bel et bien une lecture fascinante. Ne serait-ce que parce que, personnellement, je l’ai passée à me demander ce que j’étais en train de lire ou bien à croire que je savais ce que j’étais en train de lire et à me tromper. C’est encore un bouquin un peu hard core à résumer en deux phrases, ça parle d’enfants handicapés qui vivent dans un internat au fin fond de l’Europe de l’Est post-chute du rideau de fer, isolés et repliés sur eux-mêmes dans une société complètement fermée (enfin pas complètement, mais faut le lire pour comprendre). La Maison (ainsi qu’ils nomment leur internat) est une entité à part entière (dont je viens de réaliser en écrivant ces mots que j’ai rêvé à moment donné, wow!) dont les enfants, enfin, certains enfants sont une sorte d’extension ? Mais bref, y a beaucoup de flash back mais la majorité de l’intrigue se déroule pendant la dernière année des protagonistes. Il y a une atmosphère vraiment étrange dans ce bouquin, les différents narrateurs/points de vue sont complètement unreliables donc c’est pas vraiment une lecture passive, tu dois activement participer à l’histoire, tirer tes conclusions, faire tes théories, tes interprétations (et te prendre une énorme mandale quand une info concrète tombe au détour d’une page et démoli toute la théorie sur laquelle tu basais jusqu’ici ta compréhension de l’histoire).
Enfin voilà, c’est un livre vivant qui te force à interagir avec lui, que tu le veuilles ou non. Je serais pas étonné de trouver l’histoire complètement différente en seconde lecture.
Journal d’un Assasynth, de Martha Wells
On sort de mes lecture « sérieuses » pour aller vers du divertissement pur et dur mais je vous rassure : on reste sur des trucs de ouf. Journal d’un Assasynth, vous en avez peut-être entendu parler, ça a eu beaucoup de succès, perso je l’ai croisé huit milliards de fois en librairie, à la médiathèque et/ou sur les blogs, les comptes youtube et insta des potes et je vais pas vous mentir, je suis passé à côté par pur snobisme. Le titre faisait très comédie YA et je me croyais au dessus de ça avec mon anarchisme et mes pavés de SF que je persiste à lire même quand j’ai pas les références philosophiques et que je comprends pas la moitié. Et bah j’ai eu tort sur toute la ligne, et je me suis rattrapé en bouffant les six premiers tomes sur deux jours. (Pour ma défense, cinq sur six sont des novellas. Mais quand même !) Journal d’un Assassynth c’est, comme son nom l’indique, le journal d’un androïde de sécurité qui s’est auto-piraté pour échapper à le compagnie d’assurance qui le loue à des expéditions scientifiques. S’étant donné à lui-même le nom d’Assassynth, notre protagoniste prend deux secondes pour hésiter entre la tuerie de masse et le binging de séries, et opte pour la deuxième option. Son principal problème, dans la vie, c’est qu’en dépit de ses meilleurs efforts pour ne pas ressentir d’émotions autres que fictives, Assassynth s’attache à tout ce qui fait preuve du minimum syndical de respect envers sa personne -et passe donc sa toute nouvelle liberté à courir frénétiquement au secours d’humain.es pas très doués pour rester en vie et en un seul morceau. (Et à ne surtout pas devenir ami avec d’autres personnes non humaines.) (Spoiler alert : ça devient ami avec d’autres personnes non humaines.)
Bref, ça parle de personhood et d’identité et d’appartenance, de famille trouvée, et de péter la gueule au capitalisme. Je ne vous demande pas si je vous l’ai vendu.
La séquence Aardtman, de Saul Pandelakis
On reste sur la thématique de la « personhood » (mot anglais permettant de nommer le concept d’être une personne -à ne pas confondre avec être un.e humain.e) avec ce pavé paru chez le Goater, une petite maison dont je surkiffe la ligne éditoriale hyper précise. Je vais pas vous mentir, je n’ai pas adoré cette lecture, subjectivement je pense qu’on est un peu sortis de, genre, « mon truc ». Mais objectivement ce titre met sur la table des trucs que j’ai pas ou peu vu ailleurs, surtout en francophonie, et j’en entends pas assez parler, donc nous y voilà. Avec ce récit, on suit deux personnages qui ne se rencontrent jamais : Roz, un membre de l’équipage d’un vaisseau spatial, l’ari-me, qui fait route à travers les étoiles pour un voyage d’exploration sans retour, et Asha, une bot transgenre (les bots sont des IA s’étant fait fabriquer un corps afin de pouvoir s’incarner) militant sur Terre pour la reconnaissance des identités autre qu’humaines. On est sur un récit fleuve au courant très lent -y a pas énormément d’action, mais du coup, par contraste, quand y en a, tu sursautes bien fort. Le reste, c’est principalement du dialogue entre plusieurs types de personhood, mais aussi entre différentes visions du monde, de l’avenir, différents rapports aux corps, à la vie, à la mort, aux privilèges et au bonheur.
C’est un roman à lire, mais surtout un roman à discuter -en tous cas pour moi, c’est dans le dialogue que je l’apprécie le plus.
À la pointe de l’épée, d’Ellen Kushner
On quitte le domaine de la SF et du fantastique pour partir sur une sorte d’ovni dans les littératures de genre : Swordspoint, un roman de cape et d’épée qui suit les aventures du bretteur à gage Richard Saint-Vière, rapiériste taciturne et talentueux qui loue ses services aux nobles de sa cité (dont le nom m’échappe et j’ai la flemme d’aller sortir le bouquin de la bibliothèque ou de faire une recherche google pour vos beaux yeux). C’est queer, c’est sarcastique, c’est épique, y a un préquel et plusieurs suites, on s’éclate à la lecture, je sais pas quoi vous dire de plus à part que je l’ai fait lire à mon instructeur de rapière médiévale en serrant les dents parce que c’est toujours un pari de faire lire un bouquin queer à un mec cis-het et qu’il l’a beaucoup aimé (il loue tout particulièrement le duel entre Richard et un maître d’arme manchot, et le fait que Richard soit constamment en train de s’entraîner contrairement à beaucoup de héros de cape et d’épée qui sont souvent décrits comme hyper bons mais qu’on ne voit jamais pratiquer leur art). Big up à Alec, mon personnage préféré -le mec de Richard qui, quand il s’ennuie, provoque des gens dans la rue pour qu’ils fassent mine de l’attaquer et que Richard les tue.
Oui ces gens sont très toxiques mais vous lisez un article écrit par un fan de la série Hannibal, je ne sais pas à quoi d’autre vous vous attendiez.
American Gods, de Neil Gaiman
Je voulais vous parler de Good Omens parce que je viens de revoir la saison 2 mais j’ai réalisé que la majorité de ce que j’ai à en dire tourne autour de la série plutôt que du bouquin, que je n’ai pas relu depuis un bail. J’ai lu American Gods deux fois, la deuxième en couvrant mon exemplaire de poche de notes dans les marges -pour faire genre je suis intelligent alors que principalement je flexais (auprès de moi-même et des potentiels potes qui seraient amenés à me l’emprunter un jour) sur ma capacité à identifier les mythologies obscures auxquelles Gaiman fait référence. J’ajoute que si je surkiffe la quasi intégralité de l’œuvre audiovisuelle de l’auteur, l’adaptation d’AG est à mon sens un échec : tout ce que j’aimais dans les personnages de Shadow et de Laura (ainsi que leur relation) en ont été dépouillés. J’appréciais particulièrement le fait que Shadow soit constamment chill (ex-détenu dont la femme est brutalement décédée la veille de sa libération en même temps que son meilleur ami avec qui elle était en train de le tromper au moment de leur mort, tu m’étonnes que plus rien n’arrive à le faire réagir, même le fait de se retrouver en plein milieu d’une guerre cosmique entre les déités des temps anciens et des personnifications de concepts récents cherchant à les détrôner), dans la série il exige des explications et s’étonne de choses qui le laissent de marbre dans le bouquin -ce qui fonctionne beaucoup mieux dans le contexte de ce qu’il a vécu et est en train de vivre, et le rend bien plus relatable et moins cliché. Pareil, Laura est le moteur de leurs, comment dire ? Activités de couple (si ton couple commet pas un hold up en amoureux de temps en temps est-ce que ta relation vaut encore le coup ? (je plaisante) (unless!)) ? Ce qui est aussi le cas dans la série, mais la série ressent le besoin de le justifier en la présentant comme quelqu’un d’un peu décalé qui tente de manière de plus en plus désespérée de ressentir quelque chose (ce dont ils se servent aussi pour justifier qu’elle trompe Shadow) alors que dans le bouquin elle n’est pas du tout comme ça -parce qu’en fait, spoiler alert, c’est possible pour une femme de faire des trucs immoraux pour le kiffe ou pour le fun ou par appât du gain, ça n’a pas besoin d’être un signe d’instabilité !
Bon, ça a tourné au réquisitoire, mais tldr: ex-détenu veuf se fait embaucher comme garde du corps par un ancien dieu, feu son épouse morte-vivante à cause d’un malentendu commet plusieurs crimes de guerre pour le protéger, more at five. Lisez-le, c’est pépite ! (Et en vrai la série avait tenté d’ajouter un arc narratif « zombie, leprechaun et djinn font un road-trip/une side quest » et ça pour le coup ça m’enjaillait grave !)
Orgueil et préjugés, de Jane Austen
Alors celle-là je parie que vous l’aviez pas vu venir ! Pourtant c’est le livre que j’ai dû lire le plus à l’âge adulte (ma mère l’a en VF, du coup les rares fois où je me retrouve chez elle sans rien à lire je me le retape, et je l’ai lu au moins deux fois en VO). Je vais vous avouer un petit secret : je fais genre je suis subversif, mais en réalité j’ai zéro chill pour les histoires d’amour hétéronormées. Sérieusement, je couine à la moindre demande en mariage fictive, je pleurniche à propos de « mes bébouuuuus » si le sort les sépare, et entre deux saisons je les imagine élevant quatre enfants, trois poules et deux chiens dans une grande maison à la campagne. Voilà, vous connaissez mon terrible secret, maintenant. Si d’aventure vous ne connaissiez pas ce classique de la littérature britannique, je vous encourage à y jeter un coup d’œil. Vous y ferez la rencontre d’une jeune femme au tempérament d’acier et au grand cœur, de jeunes hommes timides et parfois un peu bornés, d’une famille chaotique mais aimante. Mais surtout, vous y découvrirez la plume délicieuse d’Austen, et son regard critique, parfois doux, toujours juste, sur la société dans laquelle elle vivait et évoluait.
Sérieusement, ne vous laissez pas intimider par le genre de la romance. J’y ai lu des choses extraordinaires.
Quatre sœurs, de Malika Ferdjoukh
Ok, là je triche : d’abord c’est une série (m’enfin vous me direz je vous en ai déjà proposé deux dans cette liste), ensuite c’est du jeunesse (mais eh ! je suis auteur jeunesse après tout !), et je n’ai pas relu cette histoire que j’adore depuis des années. Seulement voilà : je l’adore. Enfant et adolescent, je n’ai cessé d’y revenir. Et puis je trouve que c’est une bonne manière de clore cette liste en acceptant la réalité : il y avait bien une thématique commune à ces recommandations, même si je ne l’ai pas vue tout de suite. Car Quatre sœurs, comme tous les autres titres que je vous ai proposés jusqu’ici, c’est avant tout une histoire de communauté. Cette communauté, c’est celle que forment Charlie, Geneviève, Hortense, Bettina et Enid, cinq orphelines qui vivent dans une grande maison déglinguée, la Vill’Hervé, en haut d’une falaise dominant l’océan. Cette maison abrite tout un petit monde endeuillé qui s’efforce de vivre avec pas grand chose. Il y a une ambiance cosy et réconfortante dans ce roman qui parle pourtant de deuil, d’adolescence, de perte, de changement et d’acceptation. Je le lisais en souhaitant que ce soit ma maison, mon chez-moi.
Désormais adulte, je le relirai comme un guide.
Voilà, c’était les recommandations de lecture de Tonton Jolan pour la rentrée 2023. Sur ce, je retourne à mon manuscrit. Bonne reprise, bel automne, et joyeux Halloween en avance !
Jo